Je m'assois 20 minutes. De toute façon j'ai le dos en compote. Je remonte la galerie depuis 15 minutes. Elle fait combien?... Un kilomètre ? Section de la "peinture française" (?), 15ième, 16ième, etc. C'est magnifique mais il y en a trop. Trop de peinture. Trop de "belles" images. Je fatigue sincèrement. Au Louvre il faut être stratège, considérer les oeuvres comme des ennemies, il faut cibler et ignorer le reste. La toile est un espace à déchiffrer, comme une femme qu'il faudrait séduire (la comparaison est douteuse...), comprendre, comme un mystère, un défi. Donc je m'assois. Il y a de jolis canapés. Tout au Louvre exprime l'excellence bourgeoise. Même les canapés. En face de moi, Carache. Va pour Carache (j'aurais quand même préféré un Caravage...)
En même temps que je dessine des gens s'arrêtent, regardent, puis repartent. Je remarque que les gens ne savent pas s'arrêter. Pas pour regarder mon travail. Non, pour regarder toutes ces oeuvres magnifiques. Je calcule. Moyenne du temps d'arrêt face à une toile : 10 secondes. Je n'exagère pas ! 10 secondes maximum ! Que dit une toile en 10 secondes ? J'ai la rèponse : RIEN. Elle ne dit strictement rien... Elle n'a rien a vous dire en dessous de 10-20 minutes (Si j'écoutais Daniel Arasse il faudrait multiplier par 100...). Ou alors si, des surfaces, des clichés, voilà ce que vous allez y projeter. C'est pour ça que les musées devraient être remplis de chaises ! Pour s'assoir, pour comprendre les gens comme moi qui, a 30 ans, ont délà le dos fatigué (c'est pas ma faute, j'ai les pieds plats...)
Carache malgré lui m'inspire une petite réflexion. Voir, c'est prendre le temps de voir. Voir, c'est du temps. Regarder c'est prendre le temps. Le temps de s'assoir, de dessiner, de fermer les yeux, de regarder ailleurs, de s'en aller et puis de revenir. Prendre le temps d'y penser. Puis d'arrêter d'y penser. Et, sans le savoir, d'y penser quand même, même quand on y pense plus (?). Bref c'est l'exact opposé de notre civilisation névrotique, pressée, cliqueuse. Et voilà. L'absurdité est soudain sous mes yeux. Evidente et presque comique. Des milliers de personnes défilent au Louvre chaque jour, le musée démocratique a enfin ouvert ses portes. Mais au lieu de rendre visible les subtilités d'un bleu, les contours d'une fesse, où les méandres d'un sourire énigmatique (voir la vidéo ci-jointe), cette démocratisation ne fait qu'organiser un aveuglement généralisé. Photos, caméras, portables, zooms et autres obscénités ... C'est parce que vous voyez que ne voyez rien. On a mis en face de vous une splendide absence. La révérence est de mise. La foule, la masse, les flux, le mouvement continue sera dorénavant votre ennemi. Soyez sur vos gardes...